Antiquaires, libraires, jouets: une autre façon de consommer à la Galerie Vivienne
On réduit souvent la Galerie Vivienne à un décor pour photos léchées et shopping de luxe. C'est passer à côté de son vrai potentiel: un laboratoire à taille humaine pour consommer autrement, entre livres anciens, objets du XXe siècle et jouets sans plastique.
Marre du "vert" décoratif? Commencez par un passage couvert
Tout le monde parle de consommation responsable. Peu de lieux vous forcent vraiment à la pratiquer. La Galerie Vivienne, dans le 2e arrondissement de Paris, est de ceux‑là, presque malgré elle. Ses boutiques les plus intéressantes sont précisément celles qui vont à rebours de la frénésie neuve: librairie ancienne, sélection d'art du XXe siècle, jouets éco‑responsables.
On peut trouver cela anecdotique. C'est une erreur de diagnostic. Quand vous achetez un livre relié chez Jousseaume, un jouet en bois chez Si Tu Veux ou une pièce d'art chez Secrets d'Intérieurs, vous faites autre chose qu'un achat: vous choisissez un rapport au temps, à la matière, aux objets qui vous entourent.
Librairie Jousseaume: résister au flux permanent
La Librairie Jousseaume, installée dans la galerie depuis 1826, ne rentre dans aucun tableau Excel contemporain. Livres du XIXe, du XXe, gravures, cartes postales: c'est le genre de lieu que les promoteurs aiment qualifier de "charmant" avant de le raser mentalement.
- Chaque ouvrage a déjà survécu à plusieurs déménagements, guerres, héritages.
- Les prix ne suivent pas une logique de solderie, mais celle de la rareté, de l'état, de l'histoire.
- L'achat est lent: on fouille, on demande, on hésite, on revient.
C'est une école de patience qui ridiculise le clic frénétique. On ressort parfois sans rien, mais enrichi. Et quand on achète, l'objet a plus de chance de rester sur une étagère quinze ans que de finir dans un carton en trois mois.
Pour replacer cette librairie dans un paysage plus large, on peut la rapprocher des lieux défendus par des institutions comme le Centre national du livre, qui rappelle régulièrement l'importance des librairies indépendantes dans l'écosystème culturel français.
Si Tu Veux: jouets en bois, enfants réels, pas d'écran
À quelques mètres, Si Tu Veux propose exactement le contraire du rayon jouets de grande surface. Zéro batterie, zéro plastique criard. Du bois, des matières naturelles, des jeux inspirés de pédagogies alternatives.
C'est brutal pour les habitudes. Les enfants, d'abord déboussolés, finissent souvent fascinés. Ils touchent, manipulent, testent des jeux qui ne hurlent pas pour attirer leur attention. Les parents se retrouvent obligés de jouer vraiment, de lire une règle, d'accompagner. Il y a presque de la provocation dans cette exigence.
- Les jouets sont choisis pour leur intérêt éducatif réel, pas pour leur capacité à occuper un enfant silencieusement.
- Le sourcing privilégie le "made in près de chez nous".
- Le magasin existe depuis 1981, bien avant la vague marketing de l'éco‑responsable.
Les recherches récentes en sciences cognitives, comme celles synthétisées par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, rappellent l'impact délétère de la surexposition aux écrans et l'importance du jeu libre. Si Tu Veux ne fait que tirer toutes les conséquences de ces constats, sans banderoles militantes.
Secrets d'Intérieurs: l'art du XXe comme antidote au mobilier interchangeable
Secrets d'Intérieurs, maison dédiée à l'art du XXe, tranche brutalement avec les catalogues immaculés des grandes enseignes. Ici, pas de canapé vu 200 fois sur Instagram. On parle de mobilier d'époque, d'œuvres parfois déroutantes, de compositions lumineuses et chromatiques qui réclament un peu d'audace.
L'objectif affiché est clair: construire des intérieurs qui ne ressemblent pas à des showrooms. Et cela passe par plusieurs partis‑pris radicaux:
- Assumer les pièces uniques, avec leurs imperfections et leur histoire.
- Refuser la logique de collection massive au profit d'associations pointues.
- Travailler l'espace comme une chorégraphie: lumière, formes, matières.
On est loin de la "déco" au sens paresseux du terme. Le lieu s'adresse à ceux qui acceptent que leur appartement raconte autre chose qu'une tendance Pinterest recyclée. C'est exigeant, parfois dérangeant, mais c'est précisément ce qui rend cette démarche précieuse.
Et si votre cadeau de Noël n'était pas produit cette année?
Visiter la Galerie Vivienne en fin d'année est un révélateur cruel. D'un côté, les réflexes de consommation rapide: commander en urgence un objet standard sur une plateforme globale. De l'autre, la possibilité très concrète de faire autrement, ici même.
- Un livre ancien avec une dédicace, une reliure particulière, choisi pour une personne précise.
- Une estampe ou une photographie du XXe siècle, trouvée chez Secrets d'Intérieurs.
- Un jeu en bois dont on sait qu'il survivra à plusieurs fratries.
Aucun de ces cadeaux n'est "neuf" au sens industriel du terme. Tous ont une densité que les objets sortis d'usine n'auront jamais. C'est d'ailleurs l'un des axes que l'article sur La Marelle met en lumière: le vrai luxe, aujourd'hui, n'est plus le neuf, mais le juste.
Les chiffres de l'ADEME sur la seconde main, régulièrement mis à jour sur leur librairie en ligne, confirment au passage qu'au‑delà du style, cette approche a un impact environnemental très concret.
Composer un parcours "sobriété choisie" dans la Galerie Vivienne
Plutôt que d'errer sans boussole entre boutiques, on peut imaginer un parcours volontairement orienté vers une autre façon de consommer:
- Départ par Jousseaume: vous choisissez un livre pour vous, sans but utilitaire, juste par appétit intellectuel.
- Passage chez Si Tu Veux: vous repérez un jeu ou un jouet pour un enfant, en discutant vraiment avec l'équipe.
- Étape chez Secrets d'Intérieurs: vous laissez l'équipe vous bousculer un peu dans vos habitudes de décoration.
- Pause au Valentin ou aux Caves Legrand: parce qu'une autre consommation passe aussi par une autre façon de s'attabler.
Au bout de deux heures, vous n'aurez peut‑être acheté qu'une seule chose. Mais elle aura un poids réel dans votre quotidien. Et c'est bien là tout l'enjeu.
Assumer une certaine radicalité
Consommer autrement dans la Galerie Vivienne, ce n'est pas se donner bonne conscience en ajoutant un produit "responsable" dans un caddie saturé. C'est accepter une forme de radicalité douce: moins d'objets, plus d'attention; moins de bruit, plus de présence.
La galerie ne se présente pas comme un laboratoire militant. C'est même tout l'inverse: elle se contente d'abriter des maisons qui travaillent sérieusement, parfois depuis des décennies, sans slogans tapageurs. À vous de décider si vous traversez ce passage comme un décor de carte postale ou comme un terrain d'entraînement pour une autre manière de posséder.
Pour prolonger cette réflexion, parcourez les actualités de la galerie et, lors de votre prochaine visite, accordez‑vous le luxe de passer plus de temps chez un libraire, un galeriste, un marchand d'art ou de jouets qu'à cadrer votre prochaine photo. C'est étonnamment reposant.